Depuis trois semaines, Serge Rouillard Rose habite dans un camion de location, garé dans le stationnement d’un parc de Longueuil. Malgré ses nombreuses démarches et recherches qui ratissent aussi large que jusqu’à Saint-Georges ou Drummondville, il ne parvient pas à se trouver de logement. Il déplore que son mauvais dossier de crédit soit le principal motif de refus. 

La demande d’une enquête de crédit a beau être une pratique courante et légale depuis de nombreuses années, M. Rouillard Rose en comprend mal la pertinence.

Qu’il se dise prêt à payer un dépôt équivalent au premier mois de loyer ne pèse pas dans la balance; sa mauvaise cote de crédit demeure une tache à son dossier, relate-t-il. 

«Je n’ai pas un bon crédit, mais ça ne devrait pas entrer en considération. L’enquête de crédit, ça ne tient pas compte du loyer payé. J’ai toujours payé mon loyer, et négligé le reste, parce que c’était le loyer ma priorité», avance-t-il.
«Ce n’est pas comme pour acheter une maison, ou acheter ou louer une voiture. Je ne partirai pas avec le logement à la fin du bail!, illustre-t-il. Le logement, ça devrait être un droit.»

Depuis les dernières semaines, M. Rose a multiplié les appels et courriels dans l’espoir de trouver un locateur qui l’acceptera comme locataire. Peu importe la taille du logement, peu importe la ville, «je veux un toit», résume-t-il, se disant aussi prêt à la colocation. Il a aussi contacté des organismes pour obtenir du soutien dans ses recherches.

À ses yeux, le gouvernement provincial devrait interdire aux locateurs d’exiger une enquête de crédit, d’autant plus que celle-ci est aux frais du chercheur de logement.

Sans retour positif d’un propriétaire, il aura bientôt épuisé ses fonds qui lui permettent de payer la location du camion et ce qu’il faut pour manger. 

Une fois par semaine, il va chez un oncle pour prendre sa douche, et il est rémunéré pour faire le ménage. «Il donne mon nom à du monde pour des ménages», signifie l’homme.

Il se sent à un pas de la rue.  

« Tout a basculé »

M. Rose, qui reçoit une prestation d’aide en raison d’une contrainte sévère à l’emploi, a été aidant naturel pendant plus de 40 ans pour son frère souffrant d’un handicap. Lors du décès de son frère l’an dernier, «tout a basculé», raconte Serge Rouillard Rose.

Sans le supplément de revenu garanti de son frère, il s’est retrouvé dans l’impossibilité de payer son loyer. Dans une décision datée d’octobre 2024, le Tribunal administratif du logement (TAL) l’a condamné à verser la somme à la propriétaire et a ordonné la résiliation du bail. M. Rose aurait tenté de rembourser ce montant, ce qui lui aurait été refusé car on préférait qu’il quitte, avance-t-il. 

En juin, la demande de rétractation de la décision du TAL n’a pas été acceptée. M. Rose ne s’était pas présenté à la cour, n’ayant pas reçu la convocation, soutient-il.

«J’ai été aidant naturel pendant toutes ces années, et c’est comme ça que la société me remercie?» lance-t-il, racontant qu’il a aussi été intervenant bénévole auprès de toxicomanes. 

Le logement, « un droit » 

Marco Monzon, directeur général du Comité logement Rive-Sud, estime que la demande d’enquête de crédit est effectivement un frein au droit au logement, bien qu’un mauvais crédit soit un motif légitime pour refuser un candidat, selon le Tribunal administratif du logement.

«Ça montre une contradiction : que le logement est considéré davantage comme une marchandise qu’un droit. Dans les faits, quelqu’un peut toujours payer son loyer, et se faire refuser un logement sur des considérations très techniques dans ce genre», relève-t-il.

Il insiste que le logement devrait être un droit accordé à tout citoyen, au même titre que les soins de santé. «On ne refusera pas les soins à quelqu’un dont la carte d’assurance-maladie est expirée», donne-t-il en exemple.

M. Monzon souligne aussi que si un locataire a un dossier au Tribunal administratif du logement (TAL), parce qu’il aurait par exemple contesté une hausse de loyer, cela le suivra longtemps. 

Stéphane Moreau, organisateur communautaire du Comité, déplore que des propriétaires peuvent fonctionner dans l’anonymat, par le biais de compagnie à numéros. «Le Comité logement demande depuis longtemps de rendre les dossiers [du TAL] anonymes comme le font les propriétaires qui utilisent des compagnies à numéros et qui se cachent derrière un voile corporatif», indique-t-il.

Des situations comme celle dans laquelle se trouve M. Rose se multiplient à Longueuil, observe Marco Monzon. «L’itinérance économique – soit quand la raison principale pour laquelle tu te retrouves dans la rue, c’est que tu n’arrives pas à payer le loyer –, on est là-dedans de plein fouet.»

Sur les nouveaux arrivants

Serge Rouillard Rose croit que plusieurs logements à louer ont été accordés «en priorité» aux nouveaux arrivants. «Ils n’ont pas d’historique de crédit, et ils passent en priorité, alors qu’on a un problème de capacité d’accueil.» 

Stéphane Moreau précise que si des propriétaires favorisent des nouveaux arrivants, c’est plutôt pour les mauvaises raisons. 

«Ils les favorisent puisque, contrairement à des résidents de longue date, il s’agit d’une clientèle ignorante des lois, vulnérable et manipulable», note-t-il. Ils peuvent par exemple exiger des dépôts de garanties qui représentent plusieurs mois de loyer d’avance, ce qui est interdit par la loi.

«Les propriétaires peuvent aussi hausser substantiellement le loyer en trichant sur la clause G du bail, en omettant de la remplir ou en inscrivant un loyer supérieur au précédent locataire, sachant que les nouveaux arrivants ne connaissent pas la loi et que les délais sont très courts pour faire valoir ses droits», ajoute-t-il.

Les nouveaux arrivants ne sont pas éligibles aux logements sociaux.